Lors de la prise d’une photographie, les rayons lumineux traversent l’objectif et sont déviés afin de former une image sur le mécanisme d’obturation. Ce dernier s’ouvre alors, laissant les rayons atteindre la surface sensible qui enregistre l’image. Cette surface sensible convertit les rayons lumineux qui la frappent en une impulsion électrique. Cette impulsion est par la suite codée en une suite de 0 et de 1 puis en une image fixe, intelligible à l’œil humain. Génial mais glacial mécanisme de la photographie numérique où l’écran réduit le réel à sa valeur euclidienne… Toutefois, pour en arriver là, il a d’abord fallu que la lumière pénètre l’œil du photographe par la pupille, puis passe par le cristallin et se concentre sur la rétine. Lorsque la lumière atteint l’arrière de l’œil, elle est acheminée par les nerfs de la rétine qui se rejoignent en faisceau. Et c’est par l’entremise du nerf optique que ces images sont ensuite transmises au cerveau… et pas n’importe lequel, puisque c’est celui de Michaël Gramm que nous découvrons aujourd’hui. Un artiste au cerveau magicien capable de redonner la substance aux images qu’il capture. Et comme une bonne image se passe de tout commentaire, il suffirait simplement de se poser devant une photo de Michaël, pour ressentir ce qui émane d’elle, se laisser remplir par les émotions qu’elle véhicule, partager ce moment capturé mais jamais figé, tant son rayonnement perdure après la prise. Dans ce monde obsédé par l’image et où la photographie d’art peut sembler vaniteuse, les photographies de Michaël sont un hymne à la poésie, une beauté perenne à l’instar des tableaux de Maîtres.
Dans la classification biologique, Michaël est un mammifère de l’ordre des primates et de la famille des hominidés, caractérisé par la station verticale, un langage articulé à jeun, un épiderme poilu, des mains préhensiles, des grands pieds de Hobbit (qui malgré leur taille n’autorisent en rien à ce qu’on leur marche dessus, méfiez-vous les bras ne sont pas loin) et un cerveau volumineux. Donc d’un point de vue taxinomique, les frontières biologiques entre Michaël et les grands singes, semblent s’estomper. Cependant, et même si les ressemblances sont parfois troublantes, il existe des différences notables qui permettent à coup sûr de distinguer Michaël d’un orang-outan ou d’un gorille au dos argenté ; car bien que volumineux et avec une asymétrie identique, leurs cerveaux diffèrent dans leurs capacités cognitives. Certes, on trouve dans le cerveau de Michaël, le même impulsif et ancestral cortex limbique propre à chaque mammifère et qui lui permet de survivre, mais de l’autre, son génial néocortex avec sa centaine de milliards de neurones et son insatiable curiosité, fait toute la différence…
Mais Michaël, ce n’est pas qu’un œil et un cerveau… et si cette description lapidaire peut lui convenir, dresser le portrait d’une personne ne s’arrête pas qu’aux apparences physiques, ni ne se résume à quelques adjectifs qualificatifs bien sentis du genre entreprenant et courageux. Ainsi décrire une personnalité aussi singulière que celle de Michaël n’est pas chose aisée tant elle est riche de tout !
Ce français d’origine allemande sait que les insouciantes années passées au Cameroun, où il a grandit jusqu’à l’age de ses sept ans, sont parmi les plus influentes de sa vie. Puis c’est le choc thermique et culturel en débarquant en Allemagne, à Hambourg exactement ; et c’est alors la glaciale Mer du Nord qui remplace la douceur du Golfe de Guinée pour les trois prochaines années de vie. La famille s’installe ensuite en France, où le climat océanique dégradé de l’Eure et Loir est une sorte de synthèse météorologique de tout ce qu’il a connu jusqu’à maintenant. Et c’est ici, à Nogent-le-Roi, la pleine campagne à 80 km de Paris, qu’il passera la seconde partie de son enfance et son adolescence.
Bon élève mais parcours scolaire classique, c’est à dire celui où l’on s’emmerde à l’école, on a obtenu de lui ce qu’on lui demandait, c’est à dire décrocher le sacro-saint baccalauréat ; mais qui n’est rien d’autre pour lui, qu’une clef pour sortir de l’enceinte du bahut. Commence alors le long et fastidieux parcours des études supérieures, où les acronymes se suivent et se ressemblent : UFR, LEA, BTS, IUT, DUT,… et bien qu’obtenus, aucun de ces diplômes ne se révélera être le sésame d’une vie professionnelle épanouie dans l’orientation qu’il a choisit : le Tourisme. Fort de plusieurs séjours à l’étranger, lui se voit plutôt devant le comptoir d’enregistrement, que l’être frustré et blasé qui se trouve derrière… Et c’est parce qu’il n’a pas sa langue dans la poche, qu’il a fait le choix et le bon d’approfondir par des études, celles qui lui sont, si ce n’est familières, légèrement étrangères. Ainsi, l’allemand et l’anglais deviennent et resteront des atouts majeures par la suite. Mais comme beaucoup, il faudra passer par une certaine ubiquité professionnelle avant de trouver sa voie…
S’en suit une formation dans le design graphique et numérique où l’image omniprésente sert de support à son imagination déjà bien fertile. Mais la vie parisienne est à l’image de la capitale, grise et résolument superficielle. La vacuité des rapports dans la mégalopole l’ennuie… C’est pourquoi lorsqu’un ami lui propose de l’accompagner pour faire des photos dans un parc national brésilien, la réponse ne se fait pas hésitante. Il s’envole alors pour un séjour de six mois à 9’000 km de la capitale morose. Et c’est là bas, dans la nature sauvage et préservée des forêts primaires brésiliennes, que les premiers réflexes ataviques et numériques (ré)apparaissent. Nous sommes au début des années 2000 et Canon sort son premier reflex numérique destiné au grand public. Il découvre grâce au matériel de son ami tout le potentiel de la photographie numérique et son infinie possibilité de créer ! Macro, plan large, profondeur de champs, pose longue, couleurs, noir et blanc… le spectre de la création est immense et innover en photographie semble sans limite. Mais en même temps qu’une passion, c’est toute une nature dont il était en manque, qu’il redécouvre. Michaël ou la vie sauvage, les deux sont désormais indissociables…
De retour en France, il ne tardera pas à trouver le temps long ; et expliquer pourquoi, après avoir passé six mois à photographier la nature sauvage et dormir dans un hamac le bruit du métro et les lattes de son sommier parisien ne le satisfaisaient plus, serait peut-être superflu. Bref, comme beaucoup de sa génération, Michaël est un désillusionné du système traditionnel qu’il trouve légèrement aliénant (euphémisme). Alors il repart… mais cette fois pour les îles et devient « slasher » professionnel, et bientôt, plutôt que d’apposer différents métiers les uns à côté des autres et de devoir faire un choix, il les superpose et devient l’employé du mois 144 fois sur l’île de Saint Barthélemy. Tour à tour serveur / barman / piscinier / plagiste / chauffeur / gardien de villas / jardinier / guide / graphiste, etc. Il ira même jusqu’à devenir pour un temps, boulanger sur l’île de la Réunion, où il séjournera pendant deux années consécutives avant de revenir sur Saint Barthélemy et comprendre qu’il peut faire de sa passion pour l’image, un gagne pain tout à fait honnête, sans pour autant céder au sempiternel cliché de la photographie de mode. Autodidacte, ce qu’il affirme n’a rien de compliqué dans ce domaine (mais ses épaules sont aussi large que son humilité), il œuvre désormais avec une aisance insolente dans le monde de la Photographie où innover reste sa priorité. Pécheur-cueilleur plus que chasseur d’images, il a cette intelligence rare et efficace de céder aux évidences ainsi qu’une certaine patience qui lui permet de rester à l’affût des moments à capturer. Son sens de l’observation et son regard amusé sur les choses l’amènent bien souvent à se focaliser, au sens propre comme au figuré, sur un détail de la scène, qui pour finir deviendra l’essence de celle-ci. Voilà ce qui donne toute l’authenticité à chacune de ses photographies. Ajoutez à cela qu’il ne s’embarrasse pas des règles d’usage dans la photographie dite classique et vous comprendrez pourquoi son style est unique.
Ainsi, il émane des clichés de Michaël une telle émotion que sont style, même dans la dichotomie de son noir et blanc, est immédiatement identifiable. D’aucun ne se sépare jamais de leurs mauvaises habitudes, lui c’est son appareil photo qui ne le quitte jamais et c’est par l’entremise du viseur de son boîtier, qu’il vous propose sa vision des choses.
Bonne vision à toutes et à tous…
Les mauvaises langues vous diront, que c’est parce qu’il n’a pas le sens de l’orientation que Michaël a choisi de vivre sur une île de 24 km² (mais celui qui n’a pas le sens de l’orientation possède souvent par sérendipité celui des découvertes… la preuve en images). Les philosophes pencheraient plutôt pour une quête accomplie de l’hédonisme. Les pragmatiques comprennent qu’à St Barthélemy (plus qu’ailleurs), il suffit de traverser la rue pour trouver un travail*. Les romantiques penseront que c’est l’Amour qui l’attendait ici. Les marins n’ignorent pas que l’appel du large, comme celui des sirènes, est irrésistible (et curieusement quitter Paris après un cursus en communication visuelle n’était pas si difficile). Les immobiles imbéciles croient, comme toujours dès que quelqu’un bouge, qu’il fuit… Les artistes, eux, s’imaginent qu’il est venu pour capter la lumière si singulière des tropiques, celle qui brille avec l’éclat du mercure. Les poètes savent que l’appel souriant de sa claire étendue et les feux agités de ses miroirs dansants, la mer, magicienne éblouissante et nue, éveille aux grands espoirs les cœurs adolescents. Les psychanalystes, passionnés du divan autant que du déviant, allusionnent, conjecturent, esbroufent et divaguent sur l’univers métaphorique de l’île et sa présence en chaque être comme territoire clos ou se conjuguent, se rassemblent et se rencontrent tel le ressac, les fantasmes et les (dés)illusions d’un paradis perdu, celui que les rêveurs à distance fantasment ; mais Michaël n’a rien d’un rêveur à distance, lui ses rêves il les vit. Les mathématiciens obsessionnels pensent peut-être que c’est parce qu’en additionnant les chiffres 9, 7, 1, 3, 3 on obtient le nombre 23, neuvième dans la liste des nombres premiers, que Michaël a fait le choix ésotérique de cette collectivité d’outre-mer et pas une autre. L’ethnologue quant à lui interpréterait ça plutôt comme une allégorie sur le mythe du bon sauvage, et lui de préserver par l’image ce qui reste d’authentique sur l’île **. Les nostalgiques comprennent en découvrant ses clichés qu’il est plutôt à la recherche d’un souvenir passé. Les muets ne diront rien et ceux qui le connaissent ont bien de la chance…
Lui pense qu’il s’agit plutôt d’un concours de circonstances qui l’a conduit à s’installer ici, et aujourd’hui, à travers cette exposition, le photographe se propose de nous faire déguster la chaire tendre et sucrée de ce délicieux fruit du hasard, cueilli 13 ans plus tôt… Décidément le hasard fait bien les choses ! Alors bonne dégustation…
*Pour paraphraser le faquin qui tente de diriger la France par la force ! La REM en marche arrière !
**c’est à dire pas grand chose sur cet île de butors friqués en calfouette Gucci et aux goûts d’chiotte !
Reléguée au rang des hobbies compulsifs, la photographie a perdu avec l’avènement du numérique, un peu de sa magie. Et s’il fallait autrefois, faire preuve d’un certain talent d’alchimiste pour produire une image à partir de la lumière, plus personne ne s’étonne dorénavant du procédé à l’origine même de son étymologie. Dans un monde obsédé par l’image, il ne suffit plus désormais de présenter l’une ou l’autre des qualités propres au bon photographe pour pouvoir sortir du lot, mais de les réunir. Michaël s’y applique… ainsi, persévérance, authenticité, générosité sont quelques-uns des atouts qu’il possède et qui lui permettent aujourd’hui de produire des images encore capable de nous émouvoir. Et puisqu’il est vain de croire que la photographie puisse un jour saisir la beauté du monde et ses émanations, ouvrons les yeux sur l’ordinaire, le commun, et l’anecdotique que Michaël parvient si bien à sublimer…
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